Il y a quatre mois, nous étions confinés. Régine Vandamme et moi faisions des pronostics sur les conséquences de cette période tellement folle que nous ne parvenions toujours pas à y croire. Entre deux conversations, Régine me parle de quelques histoires qu'elle a écrites sur des situations inattendues vécues pendant le confinement par des gens de sa connaissance. On se dit alors que ce serait chouette de les illustrer.
Le premier texte qu'elle m'envoie raconte l'histoire d'une toute jeune centenaire dans une résidence. J'ai adoré ce texte qui parle de fête à bas régime, d'isolement, de transmission, de coquetterie et de vieillesse. Il trahissait déjà en filigrane ce que l'on sait aujourd'hui des maisons de repos et des tragédies qui continuent de s'y dérouler. Je réalise alors avec plaisir, à la plume et à l'encre, l'image inventée de cette charmante Félicie.
La semaine passée, Régine m'a envoyé un sms " La vieille dame dont tu avais illustré le récit est morte, victime des dégâts collatéraux du Covid 19 et de l'hygiénisme contemporain qui accompagne la claustration des vieilles personnes."
Le départ de cette dame que je n'ai pas rencontrée mais que j'ai imaginée m'a ému comme si nous étions proches.
Aujourd'hui, je vous partage l'histoire du centième anniversaire de Félicie, écrite par Régine :
"Le dernier printemps de Félicie
Félicie Leduc a 100 ans ce 27 mars. On lʼappelle Maman, Mamy, Tante Félicie, Supermamy. Née bien avant la grande dépression de 1929, elle a traversé guerre, crises, accidents, malheurs, maladies, deuils… Active, créative, rassembleuse, enthousiaste, elle a fait des miracles avec trois fois rien, est toujours allée de lʼavant. Animée dʼune énergie joyeuse et contagieuse, elle a adopté ceux et celles qui sont venus à elle et fait face aux contrariétés en les réduisant à peau de chagrin.
À 100 ans, elle résiste aux misères invalidantes de la haute vieillesse sans se plaindre car elle a fait dʼune petite phrase que son père lui a dite un jour : « Ma petite, vos problèmes nʼintéressent personne. », sa devise. À la résidence le Théâtre, où elle coule des jours paisibles depuis quatorze ans, elle se fait aider pour revêtir ses habits de joie. On nʼabandonne pas les habitudes dʼune vie. On lui met un de ses jolis colliers en argent, un bracelet en ivoire, un foulard de soie, on coordonne le cardigan avec la jupe en gabardine et surtout, on lui met des chaussures de ville, elle ne va tout de même pas descendre en pantoufles !
Résidents et résidentes, soignants et soignantes, famille et amis, tous avaient planifié une surprise pour le centenaire de sa naissance. Cent ans, cent invités. Elle aurait encore eu toute sa tête, elle aurait ri de ce centième anniversaire sur fond de confinement, gênée dʼêtre au centre de la fête. Elle aurait levé son verre et après avoir remercié tout le monde elle aurait simplement donné rendez-vous dans un an.
100 ans, comme le coronavirus, ça nʼarrive pas tous les jours. Ce 27 mars 2020, une seule visite est autorisée à Félicie Leduc. Son fils, Edouard, lui apporte une bouteille de champagne. Ils sont seuls dans le grand salon de la résidence . On entend les bulles crépiter dans les flûtes en cristal. Dehors, il fait beau. Ils trinquent. A la vie. Félicie Leduc est heureuse. Elle a toujours dit que son secret de longévité, cʼest de nʼavoir jamais aimé boire de lʼeau. Oui, elle est heureuse. Elle a cent ans mais ne les fait pas. Elle a cent ans et ne le sait pas. Sa mémoire fait des perles.Tout de même une chose la turlupine : qui est ce grand gaillard avec un masque, des gants et des sur-chaussures qui vide la bouteille avec elle ? Et pourquoi y a-t-il une paille dans son verre ? "
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