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Mon ami Anton


« T'as déjà entendu cet album de Cohen ? » J'y crois à peine, Anton a réussi à dégoter le seul disque de Léonard que je ne connais pas. Il tamise la lumière, allume les bougies puis il assortit le vin à la musique. Avec Anton, jamais trop besoin de parler, le silence est comme une vieille pantoufle que l’on chausse tous les deux avec délice. Après avoir écouté cinq fois chacune des faces du vinyle, il me dit : « Tiens, je pars en moto dans deux semaines, je vais traverser l’Absurdistan. » Anton voyage uniquement dans des pays que tu es incapable de situer sur une carte et seulement si ils sont un peu dangereux. Il connait toutes les capitales de tous les états du monde, y compris ceux qui ont disparu depuis 1000 ans. Il te dit : « Protectorat espagnol du Cap Juby ! République de Tripolitaine ! » et toi, tu réponds un peu penaud : « Atlantide ? » Puis tu te rappelles tout mortifié que l’Atlantide c’est comme le Quai neuf trois quart, ça n’existe pas. Anton c’est le seul mec qui possède toute la collection des National Geo depuis 1970 et qui sait ce qu’il y a dedans. Souvent il t’appelle et te propose d’aller voir un documentaire improbable, tourné par un réalisateur inconnu, dans un cinéma obscur, où il n’y aura personne. Et ça ne rate jamais, il te trouve à chaque fois un petit chef-d’œuvre que tu retourneras voir seul au moins trois fois. Anton, c’est un esprit libre dissimulé dans un costume cravate, qui tricote discrètement son originalité tout en restant bien accroché au monde. Il a un pied dedans et un pied dehors. Une pantoufle ici et une botte de 7 lieues là-bas.

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